La vraie vérité sur le peuplement de La Réunion

27/05/2020 Non Par Histoire Réunion
emerve

Une analyse en profondeur du fameux livre de Jean-Bernard Émervé, « La vérité sur le peuplement de La Réunion : une étude philohistorique et métagénétique de Homo sapiens sapiens reunionnensis », livre paru en 2009, chez “Labuse éditeur”, Paris.

Avant toute chose voici le livre entièrement accessible :

Je publie intégralement et illégalement ce livre pour le désacraliser, prouver qu’il n’y a aucun ayant-droit réel enregistré (sinon il n’a qu’à porter plainte), et pour que chacun soit libre de le lire et de se faire sa propre opinion.

Pourquoi j’écris cet article ? 

Je ne fais pas ceci pour recevoir du mérite ou de l’argent. Il ne s’agit pas non plus d’insulter ou de rabaisser qui que ce soit. Le débat est ouvert, tant que des arguments sont proposés, dans le respect de l’Autre. Chacun est libre de penser ce qu’il veut de ce qui va suivre, qui se base uniquement sur le contenu de l’ouvrage. Toutes autres sources extérieures qui n’ont pas de lien direct avec ce livre ne sont pas prises en compte dans mon analyse. Il peut exister d’autres textes, d’autres recherches, sur un éventuel peuple premier à La Réunion, mais je me concentre ici sur ce qu’affirme ce monsieur “Jean-Bernard Émervé”.

J’avais découvert ce livre complètement par hasard à la bibliothèque universitaire de Saint-Denis au Moufia, salle Océan Indien, il y a plusieurs années. Trouver ce livre au rayon Histoire de La Réunion m’avait semblé bizarre, il ne ressemblait en rien à un livre d’Histoire. Je ne m’étais pas vraiment attardé dessus la première fois. Puis quelques années plus tard, j’ai commencé à voir des articles sur le web qui prenaient ce livre très au sérieux.

Cela doit faire 1 ou 2 ans que je pensais écrire à ce sujet, mais la motivation n’était pas suffisante. Je me disais que ça serait une perte de temps que de consacrer de l’énergie à une œuvre que je considère comme une fiction. Il y a des livres un peu plus sérieux sur lesquels il vaut mieux passer plus de temps. 

Mais j’ai fini par changer d’avis en voyant que ces articles qui reprenaient les idées de ce livre, sans les discuter, sont de plus en plus partagés sur les réseaux sociaux. A quoi bon avoir un site qui essaie de mettre à la disposition de tous les Réunionnais toute la littérature sérieuse au sujet de  l’Histoire de La Réunion si au final de plus en plus de personnes se mettent à partager les théories les plus fantaisistes, que celles-ci tendent à prendre plus d’importance que les écrits scientifiques de nos historiens réunionnais ? 

Je fais tout cela car je n’aime pas seulement la vérité, j’aime aussi mon peuple. Je ne peux pas laisser ce “Jean-Bernard Émervé” insulter les Réunionnais et essayer de nous tromper sur notre histoire, salir notre mémoire. Il y a déjà suffisamment de fausses idées circulant sur notre pays, et suffisamment de mal-être en nous. Je ne veux plus laisser faire.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je rappelle que je ne suis pas historien. Le site histoire-reunion.re ne fait normalement que reprendre des textes existants, sourcés, produits par des auteurs scientifiques dont l’Histoire est le métier. Je n’ai pas pour habitude de commenter ou d’analyser les productions scientifiques de ce domaine. Je ne m’attache donc pas, vous le verrez, à réfuter certains faits historiques par d’autres faits historiques. Je m’en tiens à la simple logique. Il n’y a de toute façon pas beaucoup à creuser dans le livre pour s’apercevoir de la supercherie. L’auteur est assez transparent sur ses intentions quand on prend un peu de recul.

Pour commencer

Le titre du livre

« La vérité sur le peuplement de La Réunion : une étude philohistorique et métagénétique de Homo sapiens sapiens reunionnensis »

Titre sur la première de couverture

Déjà. « La vérité sur… ». Quand on lit un texte ou qu’on regarde une vidéo sur internet dont le titre commence comme ça, on doit se méfier de ce qui va suivre. Dans la plupart des cas, la personne qui écrit ça espère faire du « buzz », obtenir des « likes » et des partages quand c’est sur internet. Là c’est pareil pour ce livre, qui essaie de se faire remarquer par un titre provocateur. Ce qui ne va pas tellement dans le sens d’une démarche scientifique, si l’auteur était scientifique. Un scientifique est censé rester ouvert à la critique. Or si on affirme que ce qu’on dit est « la vérité », on ferme la porte du débat.

Ensuite : « une étude philohistorique et métagénétique ». A ce moment de votre première lecture, vous êtes censés vous demander quelles sont ces disciplines scientifiques dont il est question dans ce livre. La « philohistoire » ? Qu’est-ce que c’est ? L’histoire de la Philosophie ? A priori non, l’auteur ne fait pas d’étude de différentes philosophies. Une étude mi-philosophique mi-historique ? Ça pourrait peut-être aller. En tous cas ce n’est pas une discipline enseignée dans les universités en France ou à La Réunion. Peut-être dans un autre pays ? Reste la « métagénétique ». J’ai trouvé cette définition sur le web : « Relatif à la métagenèse, à l’alternance des générations. ». Et métagenèse : « Mode de reproduction alternante dans lequel les générations qui se succèdent sont alternativement sexuée et asexuée ». Là je ne vois plus le rapport avec le sujet.

Et enfin, « Homo sapiens sapiens reunionnensis ». « Homo sapiens sapiens » étant le nom de l’espèce humaine à son stade actuel. Le « reunionnensis » voudrait, je suppose, signifier que les Réunionnais auraient des traits génétiques spécifiques, et seraient donc une sous-espèce particulière qui se distingue des autres « homo sapiens sapiens ». Ben voyons… Théorie qui est reprise à la fin, page 249 :

« Réunionnais de naissance, Jean-Bernard l’est aussi génétiquement, puisque ses deux parents ont des gènes réunionnais. »

Page 249

L’auteur

D’après les informations contenues dans le livre, l’auteur s’appelle « Jean-Bernard Émervé ».

« Jean-Bernard Émervé est né en 1943 à Saint-Denis de La Réunion »

Page 249

Aucune personne portant le nom de famille “Émervé”, ni à La Réunion, ni ailleurs en France… (voir les sites web recensant les noms de famille existants et leur localisation : geopatronyme.com, filae.com, geneanet.org… )

« Jean-Bernard Émervé est décédé brusquement, à Saint-Denis de La Réunion, en 2007 d’une maladie occasionnée par un saisissement. »

Page 3

« Jean-Bernard Émervé est mort en 2007, dans une crise de saisissement, le soir de l’élection de M. Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, juste au moment de l’annonce des résultats de la consultation. C’est dans les bras de sa femme fidèle, entouré de ses enfants bien-aimés, alors que la main de Dieu se tendait déjà vers lui pour recueillir son âme exceptionnelle, alors que tous les anges et les saints chantaient déjà sa gloire qu’il a expiré en prononçant ces mots forts et définitifs : “Mon œuvre est terminée. Après cette élection, la vie n’est plus désormais digne d’être vécue” »

Page 253

Aucun avis de décès enregistré en 2007 d’une personne s’appelant “Émervé” dans toute la France. Il y a 65 “Jean-Bernard” qui sont décédés en 2007 dans toute la France, dont 5 à La Réunion, mais aucun Jean-Bernard décédé à Saint-Denis. Les 5 sont décédés dans d’autres villes de l’île. (Source: INSEE, fichier des décès de 2000 à 2009 téléchargeable ici)

Et puis, un médecin pourrait-il m’expliquer ce qu’est « une crise de saisissement » ?

Je n’ai pas trouvé la profession de ce « Jean-Bernard Émervé » dans le livre. Il n’est jamais écrit qu’il soit archéologue ou historien. Il est juste expliqué vaguement comment il a mené son travail :

« Nous allons prouver en utilisant les données les plus sûres, celles de la science, de l’archéologie et des analyse de textes manuscrits par l’exégèse scientifique, que les premières arrivées dans l’île remontent à l’Antiquité »

Page 5

« Jean-Bernard travailla longtemps en Europe sur le passé de La Réunion, en particulier à Rome utilisant les archives vaticanes, pour percer les mystères du peuplement de l’île. Installé à La Réunion, il prit contact avec des érudits et des chercheurs du passé, archéologues de notre culture, avec lesquels il avait longtemps travaillé épistolairement »

Page 250

Il n’y a donc aucune piste pour savoir si cet Émervé est un chercheur professionnel ou amateur. A la limite, qu’importe : un chercheur amateur peut tout à fait être très bon dans son domaine, et être rigoureux scientifiquement. Mais puisque son nom ne figure dans aucune université ou centre de recherche, qu’il n’y a aucune publication à son nom, on peut supposer que ce n’est pas un professionnel, si jamais c’était son vrai nom.

L’éditeur

« Labuse éditeur, Paris »

Première de couverture

Aucune information trouvée sur cet éditeur, qui ne se trouve ni à Paris, ni ailleurs.

L’avant-propos

L’auteur explique au début pourquoi il ne donnera pas ses “sources” :

« On trouvera dans les pages suivantes relaté tout ce qu’il est possible d’exposer au grand public. Ce que nous éludons ne l’est précisément que pour protéger nos sources, en particulier les manuscrits que nous avons découverts et qui composent les bases du présent essai historique »

Page 5

« Certes, il faut le confesser, nous avons hésité avant de publier ce pan de l’Histoire de La Réunion, encore nous sommes-nous limités à une partie seulement de ce que nous avons découvert, tellement tout ceci peut paraître fantastique et heurter les idées les plus fermement établies. Cependant, quoi qu’il dût nous en coûter, nous devions la vérité à La Réunion, à l’Homme Réunionnais, et au monde entier dont les yeux sont fixé sur nous »

Page 5

L’auteur prépare le lecteur aux fantastiques découvertes qui ont été faites par lui et son équipe. Et encore, il ne s’agirait que d’une partie ! Le mystère est donc immense !

L’auteur annonce ensuite aux pages 6 et 7, que cet ouvrage va contenir de la poésie, en hommage à « nos ancêtres » :

« Nos ancêtres de l’Antiquité lointaine étaient férus de poésie. Leur œuvre est immense. Aussi intercalerons-nous dans le texte des poèmes choisis, avec des encarts bien distincts de façon à ce qu’il n’y ait pas d’ambuiguité avec le reste du texte. »

Page 6

J’ai fait une petite estimation. L’intercalage de poèmes choisis représente 108 pages environ, sur 255 pages au total, soit plus de 40% du livre. Ce doit être le record du monde pour un livre scientifique.

Il y a un poème vide page 33, qui ne contient que le titre et l’“auteur” :


Quel farceur ce Jean-Bernard Émervé…

Le ton satirique du livre

L’auteur ne manque pas “d’humour”, du début à la fin. Je ne vais pas tout mentionner, car il y a vraiment beaucoup de “blagues”. Je vous en cite seulement quelques-unes, libre à vous d’aller débusquer les plus “drôles” dans le livre.

« Enfin, nous tenons à remercier ici Mlle Françoise Vergès, directrice de la Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise (MCUR), pour le soutien qu’elle n’a jamais cessé de me manifester le pour le modèle qu’elle a été pour moi. […] Merci, Françoise pour tout le soutien que tu m’as apporté. Merci Çoisette »

Page 7-8

« Rappelons que ce travail a reçu le prix “Paul Vergès – Lénine“ pour l’avancée qu’il constitue dans les sciences anthropologiques et les sciences sociales de La Réunion »

Page 8

Cette histoire de prix “Paul Vergès – Lénine” m’a bien fait rire, honnêtement.

« De surcroît, nous avions appris par nos “contacts“ au Vatican que le Pape avait rédigé un décret de canonisation en faveur de Çoisette, qu’il l’avait caché dans le coffre dévolu à cela »

Page 37

« Sainte Çoisette fut admirable. Elle monta un petit autel improvisé, sortit un livre de son sac et prononça des prières les yeux levés au ciel. […] Lorsqu’elle eut fini elle leva son livre. Nous vîmes que c’était le premier tome du Capital de saint Karl »

Page 41

L’auteur se sert de notes de bas de page pour y mettre de fausses références bibliographiques, toujours dans un esprit satirique :

« 12) F. Vergès, Comment devenir dieu à l’époque hellénistique, St Denis, La Pyramide 2006 »

Page 33

« 15) R.-P. WITCHORIA, Le Réunionnais ou la perfection sous les tropiques »

Page 33

« 16) A. de SAINT-EXPÉDIT, Les miracles à La Réunion, […] C’est le Tampon qui est le centre du monde avec, ville universitaire, pas moins que ses deux points de vente de choses imprimées. […] Si le Réunionnais est la perfection, il y a le plus que parfait, qui réside dans le Réunionnais du Sud. Chez nous, le plus que parfait n’est pas un temps, c’est un état, le nôtre »

Page 33

Des citations de ce genre j’aurais pu en mettre beaucoup plus, mais vous devriez normalement déjà avoir compris dans quel registre écrit l’auteur. Allez voir par vous-mêmes sinon.

La découverte des “Trésors”

L’auteur prétend que lui-même et Françoise Vergès, “Çoisette” comme il l’appelle, faisaient partie d’une équipe de recherche d’un “Trésor” dans la forêt du Tapcal. Trésor composé de manuscrits déposés par des Grecs qui seraient arrivés à La Réunion dans l’Antiquité. Toute l’histoire racontée par “Jean-Bernard Émervé” dans le livre est à propos de cette découverte, et de ce qui est écrit sur les feuilles métalliques d’une partie de ce trésor :

« C’est bien une partie de l’or d’Alexandre le Grand que nous avons découvert, mais un or qui, en tant que minces feuilles métalliques, a servi de support à la chronique quotidienne de la vie des premiers Réunionnais, il y a près de vingt-cinq siècles de cela. »

Page 36

« Çoisette faisait partie de notre groupe. Nous tenions à l’avoir avec nous pour tout ce qu’elle représente »

Page 37

« Le trésor, en effet, reposait dans la forêt du Tapcal (en créole Tapkal), enfoui sous un mètre de terre, protégé par une grande dalle de basalte poli d’environ deux mètres sur deux mètres, et de trente centimètres d’épaisseur, taillée d’une seul pièce, enfouie elle-même sous des tas de rochers, certains de plus de trois tonnes, répartis de façon à leur donner une apparence naturelle. »

Page 40

« La dalle était ornée d’inscriptions en grec à la gloire d’Alexandre. Dont voici la traduction : “Ô Alexandre, toi à qui l’oracle de Siouha affirma la filiation d’avec Zeus, écoute tes enfants, écoute leurs prières, sois pénétré de leur amour. Tu nous a envoyés sur ces terres chaudes où les vents se déchaînent parfois, terrassant toutes les œuvres des hommes, lieux où les dragons sortent du sol et crachent le feu sur l’imprudent…” »

Page 41

Trésor qui se fit voler ensuite :

« En moins de temps que l’on ne peut l’imaginer, les autorités colonialistes réagirent, guidées vers le trésor, à travers les embûches humides et glissantes de la forêt […]. Le trésor était aussitôt mis sous séquestre militaire, avec force menaces et défense d’en parler, et amené de nuit à Saint-Denis sous escorte armée après avoir été hélitreuillé. Il fut embarqué dans un Transal et emporté, Dieu sait où, dans quelque cul de basse-fosse de la République. Vingt ans plus tard nous pleurons toujours l’exil de notre mémoire. »

Page 43

« Vingt ans plus tard ». L’histoire se serait donc passée 20 ans avant l’écriture du livre.

Or l’“éditeur” en page 3 disait :

« Ce livre a été écrit au cours des années 2005-2007 »

Page 3

Donc on peut en déduire que la découverte et le vol du trésor auraient eu lieu vers la fin des années 80.

« Le trésor se composait de 29 caisses de bois de cèdre du Liban imputrescible […]. Chacune des caisses contenait 400 feuilles d’or et 60 feuilles d’argent à l’épaisseur d’environ deux dixièmes de millimètre et aux contours parfois irréguliers, d’une dimension d’environ 19 cm sur 27, écrites en général dans le sens de la plus grande dimension. Ces caisses ne comportaient aucune partie métallique, seulement du bois oeuvré façon ébénisterie. Certaines étaient sculptées représentant des guerriers en armes, d’autres des scènes de combat, certaines Alexandre lui-même, son portrait tel qu’on le voit sur les monnaies de Lysimaque »

Page 43

Un nouveau trésor est ensuite découvert :

« Après le départ des rapineurs […], dans le désespoir le plus absolu, nous revînmes quand même sur les lieux, creusant dans le plus grand secret, pensant ne trouver que de pauvres éléments qui auraient pu glisser des caisses, au mieux une caisse détruite que nous conserverions comme une relique. Or, un demi-mètre plus bas un deuxième trésor apparut. Il était constitué de neuf caisses, qui comme les premières, étaient en bois de cèdre du Liban imputrescible […] ».

Page 44

« Ce fut un calvaire pour apporter les caisses du trésor à Saint-Denis. Il fallait se cacher pour ne pas attirer l’attention. Nous fîmes plusieurs voyages avec des véhicules différents. […] Nous dûmes faire sur place des berceaux avec des branches que nous tressâmes pour porter chaque caisse à deux, avec des sangles qui nous sciaient les épaules, dans les reliefs escarpés de la forêt du Tapcal, car les sentiers touristiques étaient très éloignés du trésor. »

Page 45

Le pouvoir avait trop peur de cette découverte, et a donc effacé toutes traces… Évidemment :

« Aujourd’hui, la forêt du Tapcal n’a plus de sentier tracé. Les sentiers qui y menaient ont été comme effacés de la nature. D’autres qui ne mènent à rien ont été tracés et se perdent dans la végétation ou des accidents de terrain qui interdisent la progression. Les autorités ne voulaient pas que s’établisse une noria de découvreurs à la recherche du passé. Cherchez, vous ne trouverez plus. […] Nous essayâmes de retourner sur les lieux de notre découverte un mois après que nous eûmes transporté le trésor, pour étudier la pierre taillée qui surmontait le tout […]. Nous ne trouvâmes pas la dalle et aucun lieu ne nous parut familier. Aucun des repères discrets que nous avions laissés pour baliser le site, ou pour marquer le chemin, ne put être retrouvé. »

Page 46

Et plus loin : 

« Si la dalle a été enlevée, par quel moyen a-t-on pu transporter une telle masse ? L’a-t-on enfouie quelque part ? Nul, dans le cirque de Cilaos ne vit de ballets mystérieux d’hélicoptères dans le ciel pendant le mois où cela aurait pu se faire, le mois de janvier 1987. »

Page 49

Donc ces événements se seraient produits durant l’année 1986 ou, à la limite, 1985. Cela coïncide avec le “vingt ans plus tard”, donné par l’auteur page 43.

Page 49, l’auteur confirme bien de nouveau que “Çoisette” était avec leur groupe de recherche, tout le temps : 

« Chaque fois, Çoisette était notre guide. Malgré son aide, malgré ses efforts elle ne put constater avec nous que l’inéluctable. »

Page 49

Évidemment, tout ceci est une invention, une fiction… Françoise Vergès ne connaît pas de « Jean-Bernard Émervé », et n’a jamais été faire de recherches dans la forêt de Tapcal en 1985-1986, car elle n’était tout simplement pas à La Réunion à ce moment : voir son message vidéo ici.

S’en suit une description sur plusieurs pages, sans grand intérêt, des aventures de conquête d’Alexandre le Grand et de nos “ancêtres Grecs”. Tout cela serait tiré de la traduction de ces manuscrits métalliques décrivant le périple de ces Grecs jusqu’à leur arrivée à la “Nouvelle Macédoine”, La Réunion. 

« Le gynécée d’Alexandre fut à l’origine du peuplement de La Réunion. »

Page 83

« Le gynécée d’Alexandre occupe une place fondamentale dans le peuplement de La Réunion, puisque les Réunionnais d’aujourd’hui sont en partie issus des femmes qui le composaient. »

Page 92

« En ce qui nous concerne, l’histoire bascule entre le delta de l’Indus et le détroit d’Ormuz […]. Où ? Nul ne le saura. Le hasard va séparer nos ancêtres des autres troupes du conquérant. Alexandre a rempli quinze bateaux, au moins, les plus gros qu’il avait, d’une partie de son trésor et de la centaine de femmes de son gynécée. Certains disent trente bateaux, mais cela paraît beaucoup. Il avait confiance en Néarque et voulait éviter à ses délicates concubines […] les rigueurs des déserts inhospitaliers »

Page 111

Je n’ai personnellement pas compris la raison pour laquelle Alexandre Le Grand, depuis le Sud du Pakistan, aurait envoyé une quinzaine de bateaux vers l’inconnu, vers le Sud-Ouest de l’Océan Indien, plutôt que de les renvoyer en Grèce, s’il voulait protéger les femmes de son « gynécée ». Si vous savez, contactez-moi.

Ces bateaux arrivent à La Réunion :

« Mais cette abondante nourriture nous fut bien utile par la suite, lorsque nous vécûmes de longues et terribles semaines sur la mer inhospitalière et nous nous établîmes en Nouvelle Macédoine »

Page 112

Ces Grecs arrivés sur l’île ont ensuite découvert qu’un autre peuple était déjà présent sur l’île :

« Lorsque les Grecs découvrirent des anthropomorphes, dans ce qui deviendra La Réunion, ce fut la stupéfaction »

Page 171

« La ressemblance de ces êtres avec des êtres humains – de surcroît, ils semblaient dotés de la parole – empêchait […] qu’on les prît pour des animaux »

Page 181

« Les manuscrits sont peu explicites sur la suite des événements. Certains passages laissent entendre que ces anthropomorphes pourraient être une autre race d’hommes. »

Page 183

L’auteur tente par la suite une hypothèse sur le contenu du premier trésor, qui avait été volé :

« Peut-être trouverons-nous, si nous parvenons à le récupérer un jour, dans le Trésor 1, le récit détaillé de la venue du Christ chez nous apportant la bonne nouvelle. Peut-être est-ce pour cela que La Réunion est une terre riche d’amour – un amour absolu – entre les hommes des diverses ethnies ou communautés qui l’habitent »

Page 189

Jésus.

A La Réunion.

Pourquoi pas…

Les intentions de l’auteur

Simplement avec les quelques extraits que j’ai choisis, on voit que l’auteur parle beaucoup de Françoise Vergès. Si vous lisez le livre en entier, vous verrez bien d’autres passages où elle n’est pas simplement mentionnée, mais est un personnage à part entière de son histoire. Beaucoup d’“éloges” sont faits à son sujet dans le livre. On comprend bien sûr assez vite qu’il s’agit de second degré.

Pareil pour la façon dont “Émervé” parle des Réunionnais comme d’une race supérieure, on s’aperçoit assez vite qu’il n’a pas vraiment l’intention d’en dire du bien :

« Le Réunionnais, Homo sapiens sapiens reunionnensis, peut être fier. Il descend du plus illustre et plus puissant des dieux, Zeus lui-même, par son fils le Grand Roi Alexandre. Nos ancêtres étaient Grecs, race la plus sublime, qu’aucune autre jamais ne réussit à égaler ». 

Page 247

Je présume qu’il vise les “militants culturels” ou anti-colonialistes, quand il les caricature à l’excès :

« ils font pression pour que le silence règne, notre mémoire a été confisquée par l’Etat colonialiste qui a volé une partie du Trésor celui-ci aussitôt découvert. Il organisa le silence parce qu’il ne voulait pas que la spécificité de l’Homme Réunionnais – Homo sapiens sapiens reunionnensis – soit établie, et qu’elle puisse devenir une source de revendication identitaire. Le Réunionnais est irremplaçable pour la France par la richesse de son pool génétique. Affirmons-le bien haut pour que se tisse un futur glorieux que pourront vivre les enfants de notre race, en harmonie avec la noblesse du sang divin qui coule dans nos veines »

Page 31

Aux pages 19 à 26, l’auteur parle de « la question zoreille ». Il y parle de sujets comme de la « discrimination positive » ou « préférence régionale », et s’en fait faussement l’avocat pour essayer d’en démontrer l’absurdité :

« Le Réunionnais n’a pas besoin de faire ces longues études laborieuses qui sont indispensables au Zoreille pour devenir compétent dans une spécialité. Il sait par nature les bons gestes, il sait par nature ce qu’il faut faire, ce qu’il faut dire, ce qu’il faut penser, et nous verrons la raison dans les origines du peuplement de l’île »

Page 22

De la page 67 à la page 71, il s’en prend ensuite à la langue créole réunionnaise. Il a créé un petit lexique de mots “créoles” soi-disant pour démontrer que notre langue aurait la même origine grecque que les premiers habitants qui ont laissé les manuscrits. C’est, selon mon opinion personnelle, un moyen de se moquer des créolophones, et des personnes qui travaillent sur les graphies du créole réunionnais et qui affirment que c’est une langue en tant que telle.

Quelques exemples pris au hasard :

« Biolozi : Biologie

Dimagog : Artiste de la dimocrasi

Kaka : Beurk. Vient de Kakos : mauvais.

Landoscopi (vient de andoscopi) : Regarder par derrière, c’est-à-dire regarder les fesses des femmes. Il est vrai qu’à La Réunion il y a de quoi.

Monarsi : Monarchie »

Pages 67-71

Vous avez vu la définition pour “Landoscopi” ? Vous n’avez encore rien vu si vous n’avez pas lu le livre.

« Nos femmes à La Réunion ont de gracieuses et fermes abondances, de beaux et superbes culs, lascives…»

Page 86


Dans ce thème, on peut aussi citer le poème misogyne « La viande », page 50. A vomir… Et ce ne sont que des exemples. Le livre tout entier suinte le sexisme.

Et le racisme le plus cru est bien sûr aussi au menu :

« Nous pratiquons la discrimination positive depuis longtemps à La Réunion, en vertu de notre grande vertu. En particulier, pour les postes à sinécure, nous y mettons de préférence aux Zoreilles des descendants d’esclavagistes à défaut de trouver des cafres descendants d’esclaves sachant parler le français, lire et écrire. »

Page 129

Ce passage à lui seul mériterait un procès pour propos raciste… Certains pourraient objecter que ce n’est pas grave car ce serait du “second degré”, et, dans ce cas, ma démonstration serait faite, car tout le livre devrait être pris au second degré. Mais même si l’auteur cherche à faire de l’”humour” sous couvert d’une œuvre satirique, qui oserait défendre ce genre de propos racistes ?

Autre exemple, avec ce “poème” nommé « l’esclave », je n’en mets qu’un extrait ici pour ne pas heurter la sensibilité de chacun. 

« Hé le noir sur la grève, tu sais qui t’a vendu, c’est ton frère sombre… »

Page 163

L’auteur invente cette histoire des tablettes métalliques grecques pour avoir un prétexte pour écrire un roman politique qui vise la société réunionnaise. Qu’il ait raison ou pas de critiquer certaines choses qu’il aborde n’est pas le sujet, mais on comprend bien que discuter de l’origine du peuplement de La Réunion n’est pas du tout son objectif. Comme je le vois, son livre est surtout pour lui un moyen d’exprimer sa négrophobie et son sexisme.

Mes hypothèses sur l’auteur 

Il n’y a aucune existence de “Jean-Bernard Émervé” dans les registres officiels (nom de famille inexistant, aucun acte de décès), ni aucune autre publication à ce nom. Françoise Vergès m’a affirmé ne pas le connaître et n’avoir jamais participé à ses recherches de “trésor” puisqu‘elle n’était même pas à La Réunion dans les années 80, période à laquelle l’auteur prétend avoir trouvé les tablettes avec elle.

“Jean-Bernard Émervé” est donc de toute évidence un pseudonyme. Cela va sans dire que l’histoire de sa famille page 249 est soit entièrement imaginée, soit les noms de ses parents ont également été changés. A partir de là l’auteur pourrait être n’importe qui. Est-il archéologue ? historien ? écrivain ? poète ? Impossible à vérifier.  

L’usage de ce pseudonyme semble plus que nécessaire pour quelqu’un qui ose écrire les propos racistes et misogynes que l’on a vus plus haut et tous les autres dans le livre. Il peut ainsi se mettre à l’abri de toute poursuite judiciaire. 

On peut aussi supposer qu’il connaît bien La Réunion, suffisamment pour avoir des idées assez précises sur des sujets d’actualité politique locale. Donc, si l’auteur derrière le nom « Jean-Bernard Émervé » n’est pas Réunionnais, il doit y avoir vécu ou y vivre depuis un long moment. S’il est Réunionnais, comme le livre prétend, il a de toute évidence de sérieux problèmes de haine de soi ou de troubles psychologiques plus graves. Mais admettons, ce n’est pas impossible.

Les propos sexistes qui sont tenus laissent penser que c’est bien un homme, évidemment.

Tout ce qu’on sait de façon sûre sur lui,  c’est qu’il est critique envers le PCR, Françoise Vergès et la Maison de Civilisation et de l’Unité Réunionnaise (MCUR) qui est souvent citée dans l’ouvrage. Ce dont je ne juge pas ici, chacun est libre d’avoir ses propres opinions sur ces sujets, ce n’est pas le débat ici.

Conclusion

J’espère qu’arrivés à ce point, vous êtes convaincus que ce livre relève de la fiction satirique et non d’un travail scientifique. 

Pour résumer  

  • “Jean-Bernard Emervé” n’a aucune existence officielle (aucun avis de décès, le nom de famille n’existe pas, aucune autre publication, etc.) : il s’agit certainement d’un pseudonyme.
  • Les Éditions “Labuse” à Paris, n’existent pas. On peut donc penser que tout le livre a été écrit par la même personne, et que l’auteur parle de lui à la 3ème personne au début et à la fin (“avertissement de l’éditeur” page 3, “L’auteur page”, page 249). L’auteur n’est donc peut-être pas mort non plus.
  • Françoise Vergès n’a jamais participé à des recherches archéologiques dans la forêt de Tapcal en 1986 avec l’auteur du livre (voir ici). Elle n’était même pas à La Réunion à ce moment-là. Il n’y a donc certainement jamais eu de découverte de tablette métallique par l’auteur, racontant l’arrivée de Grecs à La Réunion durant l’Antiquité, et donc pas de Grecs échoués sur l’île y découvrant un peuple pré-existant (“anthropomorphes”).
  • Le ton de l’“humour” employé par l’auteur, les références bibliographiques fictives, les poèmes inventés, la narration de la chasse aux trésors, celle de l’épopée d’Alexandre Le Grand, des grecs à La Réunion etc. Tout cela laisse à penser qu’il s’agit d’un enrobage, pour permettre à l’auteur de donner son opinion personnelle sur La Réunion et les Réunionnais.

Les “Négritos andaman”

Un article sur le web parlant de ce livre cite les “Négritos andaman” en tant que peuple premier sur l’île, comme faisant partie des découvertes d’“Émervé” :

« Dans son livre posthume, l’archéologue Jean-Bernard Emervé “La vérité sur le peuplement de La Réunion” […] fait le lien avec les Négritos andaman, les habitants originels de l’Océan Indien. »

Article Journal.re

Mais je n’ai vu nulle part dans le livre le mot “Négritos” ou “andaman”. Tout ce dont il est question à part les Grecs, ce sont ce que l’auteur appelle les “anthropomorphes” (= Qui a la forme, l’apparence d’êtres humains). On ne peut donc pas se prononcer sur la véracité de cette histoire de “Négritos andaman” de La Réunion. En tous cas il semble que cela ne vienne pas du livre d’“Émervé”, dont il est question ici. Peut-être d’une autre source ? J’ai peut-être manqué des mots en relisant le livre ? N’hésitez pas à me le faire savoir si c’est le cas.

Aucun habitant à La Réunion avant la colonisation européenne ?

Les historiens ayant travaillé sur La Réunion et le bassin du sud-ouest de l’Océan Indien savent que cette région est une zone d’échanges et de circulation, depuis bien avant que les Européens n’y passent à la fin du XVème siècle. La Réunion figurait déjà sur les cartes arabes au Xème siècle. Donc, la possibilité qu’il y ait eu des personnes vivant sur l’île plus ou moins longtemps, avant l’arrivée des premiers Malgaches et Français au XVIIème siècle, n’est pas à exclure. Mais dans l’état actuel des recherches scientifiques, aucune preuve formelle n’existe pour le moment à ce sujet.  Du moins pas à ma connaissance. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me transmettre cette information.

La quête de la vérité historique

Quand on publie quelque chose qui se veut scientifique, comme ce livre en a, soi-disant, la prétention, il est obligatoire de montrer ses sources. Je parle ici de ces fameux “manuscrits métalliques” du deuxième “trésor”, s’il avait existé.  Aucune excuse ne peut être acceptée, car sinon, qu’est-ce qui m’empêche de moi-même écrire un livre sous un pseudonyme, disant que les premiers Réunionnais étaient des Martiens ? Je peux dire que j’ai les preuves chez moi mais que je ne peux pas les montrer car le gouvernement me surveille, non ? Si ça vous paraît ridicule, et bien ça l’est tout autant pour le livre de “Jean-Bernard Émervé”. A chaque fois qu’une personne affirme détenir « la vérité », il faut exiger d’elle des preuves solides. En Histoire comme dans d’autres domaines.

Évidemment, comme on parle dans notre cas d’une fiction, il n’y a aucune preuve à donner, l’auteur a tout à fait le droit d’inventer ce qu’il veut. Mais dans le cas contraire, il aurait dû donner au moins une preuve de ce qu’il avance.

Il est difficile de remettre en cause une chose à laquelle on a cru pendant longtemps. Si des personnes ont lu ce livre il y a longtemps, et y ont cru, je leur conseille de le relire, comme si c’était la première fois, avec un oeil attentif et critique.

Personne n’est à l’abri des “fake news”. Moi-même je me suis déjà fait piéger sur d’autres sujets. Je ne suis pas plus intelligent qu’un autre. Il faut toujours vérifier ses sources, d’où que ça vienne, même lorsqu’on a l’impression que ça va dans notre sens.

Je le redis, je ne suis pas historien moi-même. S’il vous faut l’avis de spécialistes, n’hésitez pas à aller demander ce que pensent des historiens et historiennes du livre de “Jean-Bernard Emervé”. Envoyez-leur le PDF.

Le mot de la fin

Le plus grand mystère reste pour moi comment ce livre de fiction raciste et misogyne a pu être au départ rangé au rayon Histoire de La Réunion à la bibliothèque universitaire, “Zone Océan Indien”, là où je l’avais trouvé la première fois il y a environ une dizaine d’années. Le 19 novembre 2019, je me suis entretenu avec Madame Valérie Mesgouez qui travaille là-bas. Après discussion, elle aussi a suspecté que ce “Jean-Bernard Émervé” est un nom d’emprunt. Et le fait que ce livre contienne en grande partie de la poésie, et non des recherches scientifiques, a suffi à convaincre Mme Mesgouez de ne plus ranger ce livre dans le rayon Histoire de La Réunion, mais du côté des essais. Au moment où j’écris ceci, je ne sais pas si ça a été fait ou pas. Si vous avez cette information, merci de me le faire savoir.

Mais qui a bien pu, au départ, en 2009 ou 2010, classer ce livre à la Bibliothèque Universitaire comme un livre d’Histoire, et le mettre aux côtés de livres comme ceux de Prosper Eve et Sudel Fuma ? Est-ce une erreur au niveau de la bibliothèque de l’Université de La Réunion ?

Enfin, si la personne qui se fait passer pour “Jean-Bernard Émervé” est toujours vivante, et souhaite prendre contact avec moi, je voudrais échanger avec lui pour comprendre ses motivations, et lui accorder un droit de réponse sur mon site s’il le désire.


Sébastien CLAIN