L’esclavage et le marronnage à la Réunion (Sudel Fuma)

03/04/2017 Non Par Histoire Réunion

L’histoire de l’esclavage à La Réunion, malgré les recherches universitaires récentes, n’a pas encore révélé tous ses secrets. S’il est vrai que le passé de la population est très jeune et offre la particularité de partir d’un « terminus a quo », il existe toutefois de vastes zones d’ombres que les chercheurs ont du mal à dissiper et qui sont celles de l’arrivée des premiers hommes dans cette Île.

Introduction

L’histoire de l’esclavage à La Réunion, malgré les recherches Universitaires récentes, n’a pas encore révélé tous ses secrets. S’il est vrai que le passé de la population est très jeune et offre la particularité de partir d’un « terminus a quo », il existe toutefois de vastes zones d’ombres que les chercheurs ont du mal à dissiper et qui sont celles de l’arrivée des premiers hommes dans cette Île. Sont-ils arabes, sont-ils asiatiques, africains ou autres ! Des recherches archéologiques et historiques pourraient nous apporter un début de réponses à nos interrogations.

La raison essentielle des difficultés à comprendre l’histoire récente de cet espace insulaire, colonisé par les Français et qui remonte à un peu plus de trois siècles, réside dans l’interprétation des sources d’archives disponibles que le chercheur peut difficilement rassembler pour atteindre son objectif scientifique. Pourtant les sources écrites utilisées par les historiens ne manquent pas concernant l’histoire de La Réunion.

Colonisée définitivement à partir de 1665 par la France, l’Île a été dotée d’une administration coloniale qui a laissé des sources d’archives importantes bien conservées et accessibles aux chercheurs. à la différence des pays de l’Afrique noire où l’oralité a primé sur l’écrit, La France a fait de l’Île de La Réunion une colonie où l’écrit a été le support fondamental des rouages administratifs, économiques et politiques de l’Île.

L’historien devrait donc trouver de quoi nourrir ses travaux de recherches dans les nombreux documents d’archives laissés par l’administration coloniale française. Cette affirmation devient caduque quand on aborde l’analyse historique du phénomène de l’esclavage et un de ses aspects, celui du marronnage, qui ont profondément marqué l’histoire sociale de cette colonie française.
En effet, les archives privées et surtout les archives publiques sont très parcimonieuses en documents relatifs à la question de l’esclavage.

On a ainsi l’impression que l’administration de l’époque et la population dominante ont fait l’impasse sur l’existence des esclaves qui représentaient entre 80 % et 60 % de la population totale au XVIIIème et XIXème siècle. S’il n’y avait pas les recensements d’esclaves, on pourrait même se poser la question de savoir si l’esclavage a existé à La Réunion ! A part quelques auteurs qui évoquent brièvement la question de l’esclavage dans leurs ouvrages, très peu d’écrits ont été exclusivement consacrés à l’histoire des esclaves.

On se trouve ainsi devant un vide historique, « une histoire du silence », expression utilisée par Hubert Gerbeau qui a été l’un des premiers universitaires à mettre en exergue le paradoxe de l’histoire
réunionnaise. Faut-il pour autant baisser les bras et se contenter des maigres sources historiques laissées par l’administration coloniale ?

Des sources écrites incomplètes et orientées

Autant il est aisé pour l’historien d’aborder l’histoire politique de La Réunion au XVIIIème et XIXème siècles, autant il est difficile de manipuler les sources d’archives quand on veut étudier la question de l’esclavage et notamment du marronnage. La première difficulté réside dans l’insuffisance de sources documentaires concernant la question de l’esclavage. En effet, l’administration coloniale s’est soit désintéressée de l’existence des esclaves, soit n’a pas voulu laisser des traces pour ne pas être jugée par l’Histoire. Nos deux hypothèses se recoupent car le contexte des mentalités au XVIIIème et XIXème siècles pouvait légitimer l’attitude de l’administration coloniale dans son refus de reconnaître l’existence même des esclaves. Il faut se rappeler que les esclaves n’avaient aucune personnalité juridique sinon que d’être assimilés sur le plan du droit à des objets.

A partir de ce postulat, reconnu et affirmé par la royauté dans le code noir, l’administration n’avait aucune obligation de reconnaître l’existence des esclaves en tant qu’êtres humains, mais aussi en tant que composantes de la société coloniale.

Les quelques informations qu’elle fournissait à l’administration centrale – nombre d’esclaves, composition par sexe, âge – suffisaient amplement. Les rapports des gouverneurs et des intendants s’intéressaient plus à l’économie qu’à la situation des ethnies composant la population esclave.

L’application du code noir par l’administration coloniale locale a de plus contribué à la discrimination en matière d’état civil.

Les informations laissées par les autorités coloniales en ce qui concerne l’état civil des esclaves sont incomplètes et souvent très maigres !

Faire une étude démographique à partir de l’état civil des esclaves à l’Île de La Réunion relève de l’exploit scientifique car les données administratives pour cette catégorie de population sont réduites au strict minimum : deux lignes pour une naissance ou un décès et aucun acte officiel pour les mariages qui sont interdits aux esclaves… Pas de patronyme, seulement des prénoms ou des sobriquets pour désigner les esclaves, ce qui rend très aléatoire, sinon impossible toute analyse de l’évolution des familles sur deux ou trois générations.

Qui sont les esclaves ? Comment sont-ils logés ? Comment s’habillent-ils ? Quelles relations entretiennent-ils avec la vie, l’amour, la mort, la religion ?

Autant de questions, autant de problèmes souvent insolubles dans l’immédiat pour l’historien qui reste confiné dans une démarche classique de recherche. L’administration coloniale ne fournit que quelques informations sur la vie des esclaves ne permettant pas à l’historien de retrouver par les sources écrites le passé de cette population.

Un des grands mystères du phénomène de l’esclavage à La Réunion réside dans la disparition des traces physiques engendrée par le système. Où sont les prisons d’esclaves qu’on trouvait sur toutes les grandes propriétés et dans lesquels on enfermait parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive pour les esclaves récalcitrants ? Où sont les fers, les chaînes d’esclaves, les fouets en lanière de cuir utilisés sur toutes les propriété de l’Île ? Pourquoi n’a-t-on pas conservé ou ne peut-on retrouver quelques uns de ces instruments de tortures alors qu’il en existait sur toutes les grandes propriétés de l’Île ?

Évoquer la destruction par le temps n’a aucun sens car les 152 ans qui nous séparent de la période servile ne sont certainement pas suffisants pour anéantir des objets en bois, en fer ou en cuir. Les marrons, ces esclaves en fuite qui ont refusé le système servile en se réfugiant dans les montagnes de l’Île dès le début de la colonisation, représentent encore un mystère pour les chercheurs de la Réunion. Le marronnage a été particulièrement actif au XVIIIème siècle après l’introduction massive d’esclaves entre 1715 et 1760 pour permettre la culture spéculative du café. Entre 1730 et 1770, le marronnage a connu un tel degré d’intensité qu’il a représenté un danger pour les colons français qui ont su s’organiser militairement et mener une véritable guérilla contre les noirs, en majorité des malgaches, qui refusent la servitude. Le nombre de marrons s’élève « à plus de 500 » en 1741 soit près de 6 % de la population de l’Île. Les renseignements fournis par les documents d’archives restent très approximatifs et ne reposent sur aucune base statistique fiable. En effet, malgré les déclarations faites par les propriétaires d’esclaves marrons auprès de l’administration, il est difficile d’appréhender le nombre exact de marrons auprès de l’administration, car personne ne comptabilisait ceux qui étaient nés dans les montagnes et qui avaient vécu libres et qui avaient sûrement procrée ! De plus, les registres n’ont pas été conservés sauf pour la période 1729-1734 où les recensements d’esclaves marrons au XVIIIème siècle permettent d’affirmer que le nombre d’esclaves excède le millier, ce qui est un chiffre élevé pour l’époque.

Or, sur les conditions de vie des marrons, sur leur organisation sociale, les rapports de l’administration sont muets ! Il est possible de comprendre en partie cette lacune car aucun administratif de la compagnie des Indes se serait hasardé à escalader les dangereuses montagnes de l’Ile, à franchir les pics acérés et à affronter les rigueurs du glacial climat de montagne des hauts de La Réunion. Les seuls rapports concernant les marrons ont été rédigés par les chasseurs de marrons organisés en « détachements » et devant se rendre « dans les bois à la queste des noirs marrons ». La création du détachement pour la capture des noirs marrons fut mis en place par un règlement du Conseil supérieur de Bourbon en date du 26 juillet 1729. La chasse aux noirs marrons n’avait pas attendu les règlements royaux pour être pratiquée. Dès les débuts du XVIIIème siècle, les colons avaient mis en place des dispositions pour combattre les marrons. Toutefois le règlement donnait à l’activité de chasse aux noirs sa légitimité.

Tout blanc « en état de porter les armes » devait être inscrit « au rolle » de son quartier par le capitaine du quartier pour faire partie du détachement devant chasser les marrons. Cette première conscription, ne plût pas aux colons créoles obligés de participer à une organisation militaire pour lutter contre les marrons. Devant les difficultés et l’inefficacité de la « conscription obligatoire », la réglementation évolua vers la professionnalisation de la spécialisation des détachements.

En 1742, un habitant souhaitant se faire dispenser de détachement « pouvait faire remplacer par les plus jeunes qui n’ont point d’esclaves ». En échange d’une rémunération de trois livres par jour et d’un noir esclave pour les accompagner. 19 détachements sont crées au milieu du XVIIIème siècle : 5 à Saint-Paul, 3 à la Rivière d’Abord, 3 à Saint-Denis, et 8 à Sainte Suzanne. Des primes et des esclaves furent accordés aux chasseurs pour augmenter l’émulation et récompenser les plus hardis : « il leur sera délivré par la Compagnie, aux frais de la commune, sur le pied du tarif, autant de noirs et négresses qu’ils en tueront dans les bois dont, suivant l’usage, ils seront tenus de porter la main gauche ». Sur 784 grands-marrons, concernés par les statistiques des esclaves en fuite depuis plus de six mois, pour la période allant de 1725 à 1765, 438 seront capturés, 270 tués dans les bois, 26 morts au bloc ou à l’hôpital, 50 mis à morts ! A l’échelle de la superficie du territoire de l’île et de sa population au XVIIIème siècle, le phénomène du marronnage ne peut être considéré comme un simple épisode de l’histoire de l’Île…

Or, les documents relatifs à l’histoire du marronnage existent en tout petit nombre, car malgré l’importance du phénomène, l’administration de l’époque a laissé peu de traces écrites sur le sujet. Le problème n’est pas seulement une question de conservation d’archives, mais une pénurie suspecte d’informations…

Quelle est la cause ? Probablement la mentalité de l’époque qui réduisait l’esclave et encore plus l’esclave marron, qui osait par son comportement bravé l’ordre colonial, est un objet sans intérêt. Eliminer physiquement un noir marron en le tuant à bout portant quelque soit son sexe, homme ou femme ou enfant, ne posait aucun problème de conscience aux chasseurs noirs. Bien plus, la chasse aux marrons est encouragée par l’administration qui récompense par des primes leurs captures. La vie des marrons n’a pas plus d’importance que celle d’un animal abattu dans la forêt et qui n’aura pas droit à une sépulture. Seule « la main gauche » rapportée comme trophée, mais surtout comme preuve de la mort du marron pour obtenir la prime a une valeur pour les chasseurs de marrons. On peut facilement comprendre, à partir de cet état d’esprit, pourquoi la population esclavagiste a laissé si peu de traces historiques sur les noirs marrons. La mort du marron n’a aucun intérêt. Pourquoi laisser des témoignages écrits ? Aucun homme d’église au XVIIIème siècle, aucun lettré ne s’est manifesté pour dénoncer la chasse aux noirs marrons. Le marron est assimilé à un animal dangereux qui doit être traqué comme le recommande en 1741 cet ancien colon rentré en France après avoir subi plusieurs descentes de marrons sur ses propriétés. Cet habitant suggère l’intervention de l’armée « comme remède et moyens pour la destruction des noirs marrons ». Il faut, dit-il « soixante hommes choisis de la marée chaussée, forts et vigoureux, quatre exécuteurs des hauts faits pour expédier sur le champs les mutins sans aucune considération (…) habiller les en vestes de buffles et bonnet du même cuir, des souliers faits exprès à deux semelles, et une feuille de fer blanc entre les deux semelles pour éviter les embûches que sont des fers et bois pointus qui traversent les pieds et blessent dangereusement…  » Après de telles recommandations, comment s’attendre à des nombreux écrits, sinon à des écrits objectifs concernant le phénomène du marronnage ?

L’archéologie et la tradition orale pour faire parler l’histoire de La Réunion

Pour compenser les sources lacunaires de l’histoire de l’esclavage, il est nécessaire d’utiliser d’autres méthodes d’investigations notamment celles relevant de l’archéologie et la tradition orale. En effet, nous sommes persuadés que la terre de l’Île contient des secrets sur l’organisation de vie des esclaves marrons. Les rapports des chasseurs de marrons sont trop insuffisants et ne donnent que de maigres informations sur les camps de marrons. Ces documents écrits sont toutefois précieux pour commencer la recherche archéologique car ils donnent, avec plus ou moins de précisions, des renseignements sur les sites montagneux occupés par les marrons au XVIIIème et XIXème siècles. En ce sens, les sources écrites sont ici indispensables pour situer les champs possibles de fouilles archéologiques.

En effet, dans leurs témoignages écrits, les chasseurs de marrons décrivent les locaux d’habitations, « ajoupas », « baraques », « boucans », « cases », « hangards » et les terrains de culture ou « habitations » exploités par les marrons. Ils nous permettent surtout de repérer les principaux lieux d’implantation des camps dont les suivants :

* Rapport de Jean Dugain après son séjour dans les bois du 10 mai au 25 mai 1762 :
Découverte aux trois Salazes. Le premier camp était « un pareil hangard », le 2ème se trouve à l’endroit appelé l’Étang, distant d’environ trois cent gaulettes de La Rivière des Marsouins au bas duquel est un « endroit extrêmement profond » ou se trouvait le troisième camp.

* Rapport de Patrice Droman après sa découverte du 12 juin 1752 :
Camp de marrons au Bras de la Plaine composé de « 18 cases et six autres à quelque distance abritant « quantité de noirs et négresses qui pouvaient être au nombre de 60 marrons ». Ces cases sont « en bois écarri » ou « bois rond ». Il y avait aussi des « boucans enfumés » et des cases de feuilles » appelés « ajoupas ».

* Rapport en juillet 1752 de François Mussard et de ses compagnons : Découverte « le long du grand-Bras dit l’Etang du Gol d’un camp de 8 mauvaises cases pour 14 ou 15 marrons ».

* Rapport en octobre 1742 de François Mussard : déclaration d’un noir marron capturé « il y aurait beaucoup d’ajoupas nouvellement construits dispersés par sept, quinze et vingt ajoupas dans chaque endroit ».

* Rapport de juillet 1749 : camp dans la forêt de Bébourg sur le « dernier bras de la Rivière des Marsouins » composé de « 4 barraques » où vivaient 11 marrons dont 6 hommes 3 femmes et 2 enfants.

* Rapport du 19 août 1749 : camp dans le « morne de la Rivière de l’Est » de 9 barraques, abritant 22 marrons (hommes, femmes et enfants).

* Rapport du 1er septembre 1755 : camp au-dessous du volcan de la Fournaise.

* Rapport du 27 février 1753 : camp dans la Rivière Saint-denis.

* Rapport du 8 juillet 1758 : camp dirigé par Simeterre sur les bords de la Rivière Saint-Etienne fortifié par une palissade.

* Rapport du 5 novembre 1744 : camp dans l’islette au-dessus de la corde. Un noir défendait le passage en faisant rouler des grosses pierres.

* Rapport du 12 juin 1753, camp de 24 cases au Bras de la Plaine abritant 60 marrons.

* Rapport du 30 août 1752 : camp de Maffack à proximité du Piton Brochard.

* Rapport du 9 décembre 1752 : camp de Laverdure, « le roi des malgaches » situé dans le fond de la Rivière Saint-Etienne.

* Rapport du 28 décembre 1752 : camp du haut du bras de la plaine découvert par Mussard où vivaient 37 marrons dont 13 seront tués par le détachement parmi lesquels Laverdure, le roi de tous les marrons et Sarçanate son lieutenant… Parmi les négresses tuées Sarlave, la femme de Laverdure.

* Rapport du 6 février 1753 : camp situé dans les hauts de la Rivière Saint-Etienne où vivaient 33 marrons.

* Rapport du 12 août 1754 : camp à deux issues entre la Rivière du Rempart et dans le bas de celle de Langevin où vivaient 11 marrons dont 8 hommes, 2 femmes, et 1 enfant. Une des femmes capturées déclare qu’elle s’était remariée dans les bois avec le noir Manzac et s’appelait Reine Fouche…

* Rapport de Jean Dugain du 24 août 1758 : découverte d’un camp au pays brûlé à l’endroit appelé « les deux bras » à 200 gaulettes de l’endroit où les marrons fabriquaient une chaloupe de 20 pieds de long, sur 12 pieds de largeur et 6 pieds de hauteur. (7, 4, et 2 mètres).

Les camps des marrons se trouvent donc dans les endroits difficiles d’accès et offrant le plus de sécurité possible ceci afin d’échapper aux détachements de blancs.

Au sommet des montagnes, les fonds des gorges des rivières, des ravines, les « hauts de la Rivière des Marsouins », de la « Rivière des Roches », de la « Rivière St-François », de la « Rivière du Mât », de la « Rivière des Galets », du « dernier bras de la Rivière des Marsouins », le « Fond de la Plaine », la « Rivière St-Etienne », le « Bras de la Plaine », la « Rivière des Remparts », la « Rivière St-Etienne au dessus de Cilaos » ont abrités des camps de marrons. Les camps sont installés dans les cirques notamment à l’Islette à Cordes, au « Brûle-Marrons » à Cilaos, au Bronchard, au « Pays-Brûlé », à la « Plaine des Cafres, au « Barry », à 1500 mètres « au dessous de la Fournaise (300 gaulettes), « au gros morne », au Piton-Rouge…

Plusieurs de ces endroits qui n’ont pas été dénaturés par l’homme gardent les traces des esclaves marrons. L’identification d’un camp de marrons permettrait de retrouver les objets utilisés par les marrons. Nous pensons notamment aux instruments aratoires, aux couteaux, scies, haches, serpes, rabots, ciseaux de charpentier, jarres, assiettes, plats, cuillères d’étain, fourchettes d’acier, toiles, sagayes et même fusils dérobés aux propriétaires des blancs parles marrons. Les outils agraires pour travailler la terre des hauts de l’Île sont certainement restés dans les bois à l’occasion de la destruction des camps par les chasseurs de marrons. Il devrait être possible de déterminer avec exactitude l’emplacement des camps et de connaître les modes de vie et les rituels funéraires. Les Malgaches marrons, revenus à la liberté retrouvaient-ils leurs morts et avaient-ils retrouvé leurs pratiques culturelles ? Les squelettes d’esclaves marrons restés dans les bois ou retrouvés dans les cavernes doivent faire l’objet d’une protection particulière. En effet, les prétendus archéologues qui ont ramené dans les musées les restes d’esclaves tués dans les bois ont commis des actes parfois irréparables et criminels qui pénalisent la recherche scientifique.

Toutefois, ils restent dans les montagnes de nombreux squelettes de marrons tués dans les bois. 270 selon les statistiques de la Compagnie des Indes entre 1725 et 1765 sans compter ceux des marrons morts naturellement…

La tradition orale peut venir au secours des archéologues et des historiens pour retrouver les sites des marrons. En effet, les créoles des hauts qui sont des grands marcheurs connaissent tous les recoins des montagnes et les histoires de marrons et de l’esclavage. La grotte de Tapcal où gisaient trois squelettes d’esclaves marrons a pu être localisé en 1983 par des randonneurs grâce à des guides pays qui connaissent les lieux par les histoires des anciens. D’autres sites pourraient être repérés à partir de la tradition orale ou des récits de randonneurs.

Héry raconte la légende de Maham, chef de 100 noirs marrons qui avait vécu dans les hauts de Salazie à la Roche-Vidot. Le corps de Maham à sa mort a été inhumé selon les coutumes africaines dans cette grotte qui serait devenue un lieu de sépulture pour les marrons. Héry déclare avoir vu dans l’enfoncement le plus reculé de la grotte « un ossuaire et une pyramide de crânes desséchés ». Fabulation ou pas, les cavernes de marrons sont souvent citées dans la tradition orale telles les cavernes du Brûlé-Marron à Cilaos ou à l’Islette à cordes. Le récit d’une chasse aux marrons écrit après l’abolition de l’esclavage par Théodore Pavie pour la Revue des deux mondes donne des détails intéressants sur l’organisation et la défense des camps de marrons. En janvier 1996, Christophe Rivière habitant le Brûlé à Cilaos, a accepté avec beaucoup d’hésitation de nous emmener sur le site. Il l’avait connu à l’âge de 11 ans et était allé voir les « ossements humains » qui se trouvaient dans la caverne. Depuis cette première expédition, effrayé, il n’était jamais reparti voir cette caverne, connue par les anciens mais dans laquelle personne n’osait entrer sous peine de sacrilège. La caverne que nous avons pu finalement retrouver est obstruée par la végétation et par de la terre et mériterait d’être étudiée. Elle ressemble étrangement aux cavernes de l’Islette à Cordes dans lesquelles ont été placés des squelettes d’esclaves sous à peine 25 centimètres de terre ! Autour des cavernes de Tapcal, un muret en arc de cercle avait été dressé pour protéger l’entrée. Il a été malheureusement désorganisé par ceux qui ont retrouvé ce site.

La recherche archéologique permettra de combler les lacunes de l’histoire du marronnage et de l’esclavage. Elle peut aboutir à une réévaluation de la cellule réunionnaise à travers la connaissance de l’histoire ignorée et même occultée du marronnage. En effet, l’histoire officielle n’a retenu que les aspects négatifs de l’esclavage, telles que la résignation des esclaves, leur enfermement, la torture et le travail servile. Les marrons étaient des « voleurs, des assassins », armés d’une violence bestiale, qualificatifs utilisés en 1972 par un historien lors d’un colloque international d’histoire se déroulant à La Réunion. « Les peines infligées aux esclaves marrons capturés étaient, dit-il, relativement bégnines ». La fleur de lys n’était qu’une brûlure superficielle vite cicatrisée…  » On ne coupait pas le pavillon de l’oreille, mais seulement le bout … » Ce même historien a fait la comptabilité des exécutions capitales concernant les marrons capturés pour quelques années juridiques du XVIIIème siècle à savoir trois pendaisons en 1734-35, 4 pendaisons et 1 brûlé vif en 1735-36, 4 pendaisons et 1 roué et brûlé vif en 1737-38… etc

Dans cette lignée, d’autres, avant lui, avaient conclu que l’esclavage à La Réunion était supportable et même un brin paternaliste par rapport à l’esclavage en Afrique et aux Antilles. L’histoire officielle a donc fait l’impasse sur la récolte des marrons qui n’ont pas accepté la servitude et sont morts dans les bois, prix à payer pour leur liberté. L’archéologie et l’histoire doivent enfin écrire l’histoire véritable des marrons de la liberté.